Fumigation du pavot afghan: un camouflet pour les Etats-Unis

Publié le par Arnaud Aubron

Un camouflet pour l’Amérique. Et une bonne nouvelle pour l’Afghanistan. Après l’annonce d’une hausse de 49% de la production d’opium cette année (6100 tonnes), John Walters, le monsieur drogues de Bush, allumait début décembre un contre-feu en promettant une campagne massive d’épandage d’herbicide sur les champs de pavot afghans, à l’image de ce qui se pratique (sans résultat) en Colombie depuis des années. «Je crois que le président [afghan] a dit oui et je crois que certains ministres ont répété oui», avait été jusqu’à hasarder Walters lors d’une conférence de presse (Drogues News du 17 décembre).

A croire que Monsieur Walters a des problèmes auditifs: le gouvernement afghan a décidé dimanche dernier de ne pas recourir aux herbicides. «Il n’y aura pas d’épandage manuel cette année», a confirmé mardi Said Mohammed Azam, porte-parole du ministère de la Lutte contre les stupéfiants.

Malgré des mois de pressions américaines croissantes, des membres du cabinet auraient convaincu Hamid Karzaï, pourtant installé par Washington et largement dépendant de ses subsides, du danger de telles pratiques pour les cultures vivrières, le bétail et la santé publique. En Amérique latine, de nombreux médecins font état de problèmes de santé sérieux chez les populations vivant dans les zones aspergées par le Round-Up.

Kaboul craint surtout que, contrairement à ce que prétendent les Américains, une politique d’éradication agressive ne pousse des paysans privés de toute source de revenus dans les bras des talibans. Une position partagée par de nombreux spécialistes de la géopolitique des drogues (Drogues News du 4 décembre) mais aussi par les alliés britanniques et canadiens. «Nous émettons de sérieuses réserves sur l’opportunité d’épandage de produits chimiques», a ainsi déclaré la semaine dernière Gavin Buchan, responsable canadien de la reconstruction dans la province de Kandahar.

«Nous avons toujours dit que la décision d’avoir recours à l’épandage manuel d’herbicide devait revenir au gouvernement afghan», a tenté de minimiser le porte-parole de l’ambassade des Etats-Unis à Kaboul, dans la seule réaction officielle à ce jour à ce véritable camouflet. Selon un officiel occidental anonyme interrogé par AP, le président Karzaï aurait tout de même accepté d’avoir recours aux herbicides en 2008 si la production de pavot ne baissait pas cette année.

Pendant ce temps, en Angleterre, deux éminents membres de la British medical association reprenaient à leur compte la proposition du conseil de Senlis et suugéraient de récolter le pavot afghan pour approvisionner les hôpitaux anglais qui manquent de diamorphine, un antidouleur tout ce qu’il y a de plus légal et de plus utile.

 

Publié dans drogues

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N
je suis d'accord.(en tout cas sur l'afghanistan...parce qu'en amérique du sud ou centrale....)
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N
je rebondis sur les "saines" lectures...Si l'histoire du sang du pavot vous fascine il est IMPOSSIBLE de faire l'impasse sur les ouvrages d'Alfred W. McCoy (d'ailleurs abondamment cité par M.Chouvy)...parce que les faits sont tétus il faut absolument lire:"The politics of Heroin in southeast asi.CIA complicity in the global drug trade"
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A
On passe des saints au père fondateur. Rien à ajouter à cela. Juste que, aussi séduisante soit-elle, la réalité d'hier n'est pas forcément celle d'aujour'dhui.
N
bonjour,je ne comprends pas l'entetement de W. et de son administration...la fumigation n'est pas pertinente en matière de lutte contre contre les stupéfiants.On voit bien ce qui se passe en Colombie et dans les pays limitrophes...si la culture de la coca baisse en colombie elle augmente d'autant dans les pays limitrophes!Ou en est l'interet???Déplacer le probleme n'est pas le régler.Il ne peut y avoir de solution que dans la légalisation de la culture du pavot afghan afin de produire des morphiniques dont manquent cruellement la majorité des pays du tiers et du quart monde.pour comprendre un peu mieux la situation,un livre:LES TERRITOIRES DE L'OPIUM de p.a CHOUVY aux éditions OLIZANE
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A
"Ou en est l'interet???"Je crois que l'intérêt principal est dans l'affichage. John Walters a promis cette campagne de fumigation en réponse à la publication de chiffres très alarmant sur la production de pavot (6100 tonnes, soit une hausse de 49%). Il s'agit avant tout d'occuper le terrain, de ne pas laisser dire que rien n'est fait. De dire: nous changeons de stratégie, nous allons monter en puissance contre le pavot. L'objectif est à très court terme. Pour le reste, advienne que pourra..."Il ne peut y avoir de solution que dans la légalisation de la culture du pavot afghan afin de produire des morphiniques dont manquent cruellement la majorité des pays du tiers et du quart monde."J'avoue que l'idée du Conseil de Senlis est très séduisante. Mais elle semble délicate à mettre en application. D'aussi grands spécialistes de la question que Pierre-Arnaud Chouvy ou Alain Labrousse, peu suspects de sympathie pour la guerre à la drogue américaine,  pensent que ce n'est pas réaliste. Principalement parce que le coût de l'opium afghan serait beaucoup trop élevé par rapport aux prix du marché. Peut-être que cela vaut tout de même le coup d'être essayé. Après tout, on ne risquerait pas grand chose. Je vais tenter d'interviewer Pierre-Arnaud, Alain et d'autres sur cette question précise."LES TERRITOIRES DE L'OPIUM de p.a CHOUVY aux éditions OLIZANE"Rien à ajouter. Une très saine lecture.